<< Souvenirs de Famille. "NOTRE PERE S'APPELAIT LOUIS DE FUNES". Extraverti et volubile à l'écran, Louis De Funès cultivait retenue et pudeur à la ville. 22 ans après sa disparition, ses deux fils, Olivier et Patrick, respectivement pilote de ligne et radiologue, lèvent le voile sur la vie de ce père pas comme les autres. Nous Deux: "Pourquoi avoir attendu 22 ans pour écrire un livre sur votre père? Patrick: Il fallait rectifier les nombreuses erreurs écrites sur notre père. Mais ce n'est pas le plus grave, c'est l'esprit de certains livres qui nous déplaît. Notamment lorsqu'on le décrit comme un homme méchant ou parfois comme un abruty de première. Quand on raconte qu'il berçait amoureusement ses bouteilles de vin dans sa cave comme des bébés, il ne faut tout-de-même pas exagérer! On a même dit de lui qu'en 81, au soir de la victoire de Mitterrand, il aurait appelé au téléphone Valéry Giscard D'Estaing, son grand ami [rires] et se serait, par dépit, laissé mourir de faim. C'est vraiment n'importe quoi! Pourquoi avoir choisi le titre "Ne parlez pas trop de moi, les enfants!"? Patrick: Parce que mon père n'aimait pas trop qu'on parle de lui [rires]... Olivier: C'est une phrase qu'il aurait pu dire... Ce titre fait référence à la fin de notre livre, en fait. On a parlé de lui sans jamais le trahir et, d'un seul coup, c'est comme s'il nous disait "Stop, ça suffit, il y a des gens plus intéressants que moi sur Terre". En lisant votre livre, on découvre un Louis de Funès très anxieux... Olivier: C'est exact. C'était un vrai anxieux car il n'était pas sûr de lui. Il n'a jamais été prétentieux. En outre, il était plutôt pessimiste pour ce qui est de l'avenir de l'homme... Patrick: Ca me rappelle une anecdote que je n'ai pas racontée dans le livre. Nous devions, avec ma mère et une amie de la famille, Marie-Antoinette, notre professeur de piano, dîner dans une brasserie. Mon père rentre à la maison, nous l'avons au téléphone et lui proposons de nous rejoindre. Eh bien, vous savez ce qu'il a répondu? "Oh non, je ne voudrais pas vous ennuyer...". Il avait toujours peur de déranger. Comment va votre maman? Olivier: Superbement bien. Ele fait ses courses à pied [Jeanne de Funès est née la même année que son mari, elle a donc 91 ans, ndlr]. Elle fait beaucoup de gymnastique... Mon père est toujours à ses côtés, et cette présence l'aide à rester jeune. Elle nous dit toujours: "Ah ça, c'est votre père qui a dû me dire de le faire, et il a eu raison...". Patrick: Elle dit qu'elle entend souvent une petite voix lui parler... Celle de Louis! Si vous ne deviez retenir qu'une seule image de lui, ce serait laquelle? Patrick: Impossible de vous répondre précisément, mais ce dont je lui sais gré, c'est de nous avoir évité les "ennuyeux", les gens pontifiants... de nous avoir protégés. Il n'aimait pas les gens qui se prennent au sérieux, il les fuyait même. Olivier: Moi, je me souviendrai toujours de mon père m'attendant sur le perron de Château. Je faisais alors Paris-Nantes en moto, il était à chaque fois très inquiet. Oui, l'image de sa petite silhouette tout au bout de l'allée du Château, angoissé pour les siens, reste gravée dans ma mémoire... Textes qui accompagnent les images: Olivier: Maman a été essentielle dans la carrière de notre père. Elle lui a très vite conseillé de ne pas répéter toujours les mêmes gags. Lui, très gentil, n'osait pas dire à un metteur en scène qu'il ne souhaitait pas refaire les mêmes choses. Par exemple, ma mère a dit un jour à mon père: "Tu as beaucoup frappé tes partenaires, ça a fait rire, maintenant trouve autre chose." Elle avait raison... Patrick: Son jeu d'acteur s'est épuré au fur et à mesure de l'avancée de sa carrière. D'ailleurs, le personnage du Corniaud n'a plus grand-chose à voir avec ses tout premiers rôles. En particulier, il a totalement abandonné les grimaces. Olivier: Quelques jours après la sortie de l'un de ses films, mon père adorait aller voir la réaction du "vrai" public dans une salle des Champs-Elysées. On organisait tout depuis tôt le matin, le but étant qu'il entre dans le cinéma sans se faire remarquer du public. Il fallait d'abord en aviser le directeur, batailler pour payer les places -mon père y tenait. On entrait alors par une porte dérobée du cinéma, mon père portait un passe-montagne sur la tête, soi-disant pour passer inaperçu, mais on le reconaissait bien-sûr à tous les coups [rires]... Une fois dans la salle, dès qu'il entendais les premiers rires des spectateurs, il était alors soulagé, et l'on repartait tous rassurés. Olivier: On ne pouvait plus marcher dans la rue avec notre père. Il était vraiment assailli, plus encore que certaines stars comme Delon ou Belmondo. En fait, les gens n'hésitaient pas à aller vers lui. D'ailleurs, ils lui manquaient un peu de respect par moment... C'était du genre: "Allez Louis, fais-nous rire!" Il en souffrait beaucoup... Par exemple, il adorait aller fouiner dans le Bazar de l'Hôtel de Ville. Et ça, il ne pouvait plus se le permettre! Patrick: Ce qu'il l'énervait particulièrement, c'est qu'on l'appelle Fufu.... Et dans la rue, il craignait toujours les mouvements de foule qu'il disait incontrôlables. Il préferait sa campagne, sa roseraie. Olivier: On a sans cesse répété que Louis de Funès n'était pas drôle dans la vie. Rien de plus faux! C'est une idée reçue. Celle du mythe du clown triste. Tous ceux qui l'ont approché en privé peuvent dire combien il était drôle [L'épouse d'Olivier, Dominique, aquiesce]. Mais il n'était pas du tout comme dans ces films, il ne faisait pas de spectacle. Il attrapait des petites choses à la volée et les tournait en dérision pour nous amuser. Il nous faisait souvent des petits sketches à la maison, il commentait l'actualité, nous imitait les voisins... Patrick: Il était mort devant les hommes politiques, il nous disait: "Regarde celui-là, quel faux-jeton!". Damien Thévenot. A LIRE: "Ne parlez pas trop de moi, les enfants!", de Patrick et Olivier de Funès, Editions Le Cherche-Midi, 17€. >>